J’ai connu Jennifer Padjemi en écoutant son excellent podcast Miroir Miroir, qui abordait les représentations des femmes, de leur corps et des normes de beauté qui leur étaient imposées (je parle au passé parce que le dernier épisode a été diffusé fin 2019).
La journaliste nous donne à lire ici un essai très accessible et complet sur l’articulation entre la pop culture et les féminismes. Elle y mêle son expérience personnelle en tant que femme Noire et journaliste, offrant un contenu pointu et pertinent. J’ai appris quantité de choses tirées de son analyse, plus poussée que les contenus que j’ai déjà pu lire sur ce sujet.
Dès le début, Jennifer Padjemi met les points sur les i, en reprenant l’idée de Roxane Gay : il n’y a pas de bon ou de mauvais féminisme, de vraie ou de fausse culture, mais DES féminismes, dont un courant qui s’appuie sur la pop culture. Elle définit cette dernière comme « toutes les images que nous assimilons au quotidien sans nous en rendre compte« .
La journaliste dénonce donc l’élitisme qui surgit dès qu’on parle de culture ou de féminisme, et ça fait du bien à lire ! Je suis lassée de ces débats infinis dès qu’on parle de ces sujets, du jugement qui suinte le mépris dès lors qu’on ne se situe plus dans la pureté militante féministe ou dans la « vraie » culture (qui, sans surprise, se révèle toujours blanche et bourgeoise).
Jennifer Padjemi parle également de la contradiction qui persiste entre le fait que le féminisme soit accessible à une plus large échelle via la pop culture, ce qui est une bonne chose ; et de sa récupération marketing et de l’utilisation de ses idées pour vendre dans une démarche capitaliste. Il est vrai que c’est frustrant de voir les messages d’empowerment féministes utilisés pour vendre des t-shirts ou autres objets dérivés. L’autrice prend l’exemple de Frida Kahlo, artiste communiste, qui se retournerait dans sa tombe si elle savait que son visage ornait toutes sortes d’objets vendus aux quatre coins du monde.
Malgré tout, même si c’est critiquable, on ne peut enlever au féminisme pop, et au marketing de celui-ci, le fait qu’il rende des théories féministes accessibles à un plus large public.
Il faut bien commencer quelque part dans la pensée féministe, ça passe par la pop culture nous dit Jennifer Padjemi. En effet, beaucoup d’écrits féministes sont difficilement lisibles. Je pense à Trouble dans le genre de Judith Butler par exemple, ou On ne naît pas soumise on le devient de Manon Garcia. Ce sont des textes ardus à lire et à comprendre (je n’ai pas dépassé la page 5 de Trouble dans le genre, et du m’y reprendre à trois reprises pour le livre de Manon Garcia !).
Les messages de girl power sur les tshirts et autres sont lus et reçus par des personnes qui n’y sont pas forcément familières, mais la petite graine de pensée féministe se plante et fait son chemin.
A travers l’exemple de séries, de films et autres objets culturels, Jennifer Padjemi souligne l’importance de la représentativité de personnages autres que blancs et hétéros, et va même au-delà : « plus que la « représentation », c’est la « représentativité » qui compte ou le fait de pouvoir mettre en scène un personnage dans son ensemble, avec ses nuances et ses contradictions, sinon cela reste simplement de la « visibilisation ». »
Cantonner les personnages féminins noirs à des rôles clichés tels que la mammy, la angry black woman, la magical n*gro ou encore des rôles secondaires plats, ce n’est plus possible aujourd’hui. Il est nécessaire de montrer des femmes Noires dans toute leur complexité, comme le font Shonda Rhimes dans Grey’s Anatomy et Michael Coehl dans I May Destroy You. Il en va de même pour les personnages LGBTQIAAP+ ou la santé mentale, dont la représentativité évolue.
L’essai de Jennifer Padjemi se lit comme on boit du petit lait. Les propos sont limpides, fluides et documentés. Chaque chapitre aborde une thématique particulière de manière approfondie.
En bref, j’ai trouvé Féminismes & Pop Culture formidable. Ce livre s’inscrit désormais pour moi dans la liste des ouvrages féministes indispensables à lire. Je l’ai annoté et corné de bout en bout, et je m’y replongerai régulièrement pour affûter ma perception de la pop culture en lien avec le féminisme.
Pour aller plus loin dans l’expérience autour de ce livre, vous pouvez suivre le compte instagram feminismesetpopculture, sur lequel Jennifer Padjemi partage des contenus, et a même fait des lives pour discuter de son livre avec Aline Maynard, Pénélope Bagieu, Melody Toussaint ou encore Grace Ly.
Je conclus enfin cet article avec les mots de l’autrice :
C’est en ça que la pop culture reste le dernier bastion pour un changement radical, car elle offre la possibilité de visibiliser les histoires dont on ne parle jamais, de raconter les vécus des personnes qu’on ne voit jamais, de vulgariser les concepts qui permettent de comprendre les maux de notre société, de les populariser et les normaliser.
Je remercie les éditions Stock pour l’envoi de ce livre.
Sans hésiter je le note il me faisait déjà envie mais avec ta critique encore plus… merci beaucoup ! Il est vrai que je n’arrive pas à me situer par rapport a tout ça, la pop culture et le féminisme, le marketing et le féminisme je pense que ce livre va me donner matière à réfléchir…
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Je suis comme toi, j’ai du mal à me positionner aussi. En même temps c’est un sujet complexe ! En tout cas ça m’a donné envie d’explorer un peu plus cette récupération du féminisme par les entreprises et ce qui peut en être fait ! Si tu es intéressée par cette question, il y a aussi le docu Pop Féminisme sur Arte qui parle de ce basculement du militantisme politique aux figures pop féministes comme Angèle. C’est assez court et ça se regarde bien (j’en avais parlé plus longuement ici : https://furyandfracas.wordpress.com/2020/11/24/des-militantes-aux-icones-pop/)
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Ah oui ça m’intéresse beaucoup merci pour ce lien !
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Ce livre a l’air génial !
Je suis curieuse de lire ce qu’elle dit du côté marketing car c’est ce qui me dérange principalement dans le fait que le féminisme devienne un objet de mode (le fait qu’on exploite des femmes à l’autre bout du monde pour créer et vendre des t-shirts à slogan qui appellent à la libération de la femme occidentale, par exemple).
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Jennifer Padjemi ne rentre pas trop dans les détails concernant le marketing pur et dur comme tu le décris. Je pense que c’est plus un livre comme Féminisme Washing de Léa Lejeune qui peut analyser cette hypocrisie du marché. En tout cas je te rejoins sur ce côté très dérangeant !
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Je le vois beaucoup passer dans mon feed Instagram, et j’ai de plus en plus envie de le lire ! 😀 Merci pour ton avis !
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Cet essai a l’air super intéressant ! Je suis totalement d’accord sur ce purisme militant qui est totalement contre-productif !
La pop culture est ce qu’il y a de plus accessible – et est d’ailleurs un vecteur important de stérérotypes – c’est une bonne chose que le féminisme s’en empare pour atteindre des gens qui ne sont pas forcément sensibles à ces questions.
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Oui, c’est important que le mouvement féministe soit accessible au plus grand nombre, et ça passe indéniablement par la pop culture ^^
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