Mary MacLane a 19 ans lorsqu’elle écrit Que le diable m’emporte. C’est un livre hybride, entre le journal intime et le pamphlet, dans lequel la jeune femme déverse sa frustration, ses aspirations et sa fougue.
Il a fait scandale lorsqu’il a été publié en 1901. Une femme qui souhaite que le diable l’emporte, qui se laisse aller à des fantaisies la mettant en scène avec ce dernier, qui parle des émotions qui l’habitent – soit résumé plus simplement : une femme qui refuse de rester dans le chemin tout tracé mariage-bébé-obéit-à-ton-mari et qui revendique sa liberté et son droit à vivre sa vie comme elle l’entend – fait forcément scandale.
Ce qui n’est pas étonnant non plus, c’est qu’à sa sortie, Que le diable m’emporte a connu un énorme succès auprès des femmes, alors même qu’il était condamné par la critique (masculine, of course) et banni de certaines librairies.
Sur la quatrième de couverture, Mary Maclane est définie comme une des premières autrices féministes américaines. Elle était ouvertement bisexuelle et a vécu sans se soucier de ce que les autres pouvaient penser d’elle. Son premier livre lui a permis de gagner assez d’argent pour quitter sa famille. Elle a publié deux autres livres et tourné dans un film autobiographique Men who have made love to me (vous pensez bien que vu le titre, ça a encore fait scandale !)
Pour en revenir à Que le diable m’emporte, j’ai été plus que tout happée par la fougue de Mary MacLane. On sent à quel point elle est à l’étroit dans sa vie monotone ; à quel point elle déborde d’énergie et de volonté. Elle parle d’elle-même avec à la fois lucidité et orgeuil. Elle se dépeint comme un génie et se compare au poète Byron et à la diariste Marie Bashkirtesff.
Je ne suis pas une fille. Je suis une femme, une femme unique en mon genre. J’avais douze ans quand j’ai commencé à être une femme, enfin je diras plutôt un génie.
Alors en général, on a le choix entre être une fille et être une héroïne – le genre d’héroïne qu’on trouve dans les romans. Mais je ne suis pas une héroïne non plus ! Une héroïne est belle – ses yeux aussi bleus que la mer lancent des regards mystérieux par-dessous ses paupières baissées -, elle avance en ondulant, son sourire éclatant ensorcelle, elle tombe systématiquement amoureuse d’un homme – un homme, obligatoirement -, elle mange des choses (que les romans appellent toujours « des mets délicats ») avec un apétit d’oiseau, et dans les grandes occasions, sa voix se remplit de larmes.
Moi, je ne me livre à aucune de ces activités. Je ne suis pas belle. Ma démarche n’est pas ondulante – d’ailleurs, je n’ai jamais vu personne onduler, à part peut-être une vache suralimentée. Mon sourire éclatant n’ensorcelle personne. Mes yeux, qui n’ont rien de commun avec la mer, ne lancent aucun regard mystérieux. Je n’ai jamais mangé de « mets délicats » et j’ai un excellent coup de fourchette. et pour finir, ma voix, à ma connaissance, ne s’est pas encore remplie de larmes.
Non, je ne suis pas une héroïne.
Le livre commence en janvier 1901 et se termine en avril de la même année.
Pendant ces quatre mois, Mary MacLane parle de tout ce qui lui arrive : ses pensées philosophiques, ses réflexions sur la vie et la société, ses fantasmes avec le diable, son attirance pour celle qu’elle appelle sa Dame Anémone…
Je comprends pourquoi le texte a eu autant de succès à l’époque où il a été publié, parce qu’encore aujourd’hui je me retrouve dans ce qu’écrit Mary MacLane. Elle a un style bien particulier, oral et familier qui donne l’impression d’avoir une conversation avec sa BFF.
J’ai aimé lire ce texte avant-gardiste à son époque. Je me suis retrouvée dans les élans et les tourments de Mary MacLane, et je suis curieuse de découvrir d’autres oeuvres de cette autrice !
Une réflexion sur « Que le diable m’emporte »