Peau : à propos de classe, de littérature et de sexe

Dorothy Allison est une militante et écrivaine lesbienne et féministe. Elle a fait partie du grand mouvement féministe des années 70 aux Etats Unis. Elle a édité des magazines féministes, monté des micro-maisons d’édition pour pubier des textes LGBTQ, mené des groupes de conscience et des séminaires sur l’écriture et l’impact de la littérature… Bref, elle a TOUT fait dans ce bouillonnement militant qu’étaient les années 70.

Elle a tiré de cette époque et des années qui ont suivi une collection d’essais puissants, mettant les mots sur les réflexions qui l’ont traversée : sur la classe ouvrière dont elle est issue, sur sa sexualité et comment elle est perçue, sur le pouvoir de l’écriture et les enjeux de la littérature.

Un petit mot sur le livre en lui-même : les éditions Cambourakis ont fait le choix de le traduire en écriture inclusive, ce que je trouve formidable ! L’organisation des différents textes rend la lecture fluide et pertinente. Même si les plus récents datent des années 90, le livre a été traduit en français en 2015 et trouve un écho encore pertinent à notre époque actuelle.

Dorothy Allison parle de la romantisation de la pauvreté et de la classe ouvrière dans laquelle elle a grandi. Elle dénonce ce mythe du pauvre qui travaille dur et mène une vie honorable, en contraste frappant avec ce qu’elle a vécu.

« La réalité faite de haine de soi et de violence était absente ou caricaturée. La pauvreté que je connaissais était monotone, anesthésiante, avilissante ; les femmes y avaient du pouvoir mais selon des critères qui n’apparaissaient pas comme héroïques aux yeux de la société. »

Elle parlé également du rôle majeur qu’ont eu la littérature et l’écriture dans sa vie. Elle a pu mettre les mots sur l’inceste dont elle a été victime, exprimer son identité en tant que lesbienne et féministe.

Peut-être pas pour quelqu’un d’autre mais, pour moi, pour la personne que je suis, écrire signifiait une tentative d’aborder la vérité, pour arriver petit à petit à la cerner, au travers des personnages, page après page. Si écrire était dangereux, mentir était meurtrier, et c’est uniquement en évacuant les choses par écrit que je découvriraient où étaient mes vraies peur, mon réseau souterrain de mensonges prudents et secrets. Etre publiée ou non n’était pas important. Ce qui importait, c’était le fait de se découvrir, de se révéler à soi-même. Qui étais-je et que m’était-il arrivé ? De façon très curieuse, je n’ai appris ce que je sais qu’à travers l’écriture. Ce que j’ai été capable d’imaginer a façonné ce que je sais et m’a révélé ce que je crains et ce que je désire vraiment. »

Elle a longtemps cru qu’elle n’avait pas de légitimité à écrire, parce qu’elle était justement lesbienne et féministe. Qu’il fallait faire passer le militantisme avant l’écriture de romans, parce que c’était considéré comme frivole et une perte de temps qui n’aurait aucune utilité pour faire avancer la cause féministe ou lesbienne. Heureusement, elle a changé d’avis !

Elle s’interroge sur les enjeux liés à l’écriture et la littérature. Les textes lesbiens et féministes n’avaient pas de place dans les grandes maisons d’édition et étaient peu lus.
Il a fallu créer des micro maisons d’édition pour que ces textes qui sortaient des sentiers battus de l’époque (aka masculins, hétérosexuels et non militants) soient publiés.
Pour elle, il faut créer de nouveaux codes littéraires qui sortent du convenu : écrire sur les choses qui nous mettent mal à l’aise pour sortir de notre zone de confort et produire des textes puissants.

Dorothy Allison questionne également son rapport à la sexualité. Pour elle, on ne peut pas être quelqu’un·e sans être sexuel·le. Ca fait partie de l’identité intrinsèque d’une personne.
Elle parle de son malaise concernant les lesbiennes politiques ou conceptuelles, qui enlèvent toute dimension sexuelle aux lesbiennes et les érigent comme des féministes pures et parfaites. En effet, ces dernières n’ont plus de rapport avec les hommes, ni de désir sexuel, lui aussi associé au masculin.
Dans les années 70/80, elle a été au coeur de ce qu’on appelle les « Sex Wars », opposant les féministes pro-sexe, qui sont pour la discussion autour de la sexualité, soutiennent les travailleur·euse·s du sexe et le travail autour de la pornographie ; et les abolitionnistes qui estiment que le travail du sexe et la pornographie sont le fruit d’une exploitation sexuelle des femmes par les hommes et que ça devrait être éradiqué.

J’ai adoré lire Peau. Il fait partie de ces rares livres qui constituent la culture lesbienne, et ça fait du bien de lire des choses auxquelles je peux m’identifier.
J’y ai trouvé quantité de réferences historiques et littéraires. Je pense notamment à l’excellent Rubyfruit Jungle de Rita Mae Brown, à l’essai The Madwoman in the attic : The Woman Writer and the Nineteenth-Century Literary Imagination de Susan Gubar & Sandra M. Gilbert, aux textes de Bertha Harris, d’Adrienne Rich ou Kate Millett… Bref, Dorothy Allison a fait s’allonger significativement ma liste de lecture !

3 réflexions sur « Peau : à propos de classe, de littérature et de sexe »

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